Partout la Terre vomissait des déchets. Des
nuages coulaient des jus bitumeux. Les plastiques germaient à tous les
orifices, failles, narines, bouches, fissures, fentes abyssales, momifiant sans
cérémonie toute vie d’un suaire lyophilisant.
Les oracles du web sauvage prophétisèrent le
recyclage. Les vestales gobaient les œufs aux entrailles, les migrateurs
noyaient des ronds dans un ciel d’huile.
Compostage, recyclage, détricotage, la
révolution surprit les vieilles Moires au saut du lit.
Des danseuses donnèrent leurs jambes à
pourrir. On carda les muscles, les tendons, les nerfs, filant, tissant, les
tourets faisaient le tour de la Terre. On prit l’habitude d’économiser les
cellules, de naître borgne, unijambiste, éviscéré. Les tubes digestifs
ingéraient les organismes, sacrifiant aux concrétions calcaires des sanctuaires
rupestres les cathédrales d’os.
Les existences s’inscrivaient au charbon sur
leurs livres de pierre. Partout fleurissaient des champs d’étoiles sur les
grandes jachères humaines. La conscience du monde s’effilocha et fondit comme
une barbe à papa.
L’écrivain fut un des premiers. Son essence
vaporeuse, évanescente, inachevée, l’y prédestinait.
Il résista bien sûr un peu. A peine, avec des
moyens de poète. Il questionna régulièrement les autorités pour s’assurer de
son état civil mais les bureaux voulurent l’archiver en même temps que ses
extraits d’actes de naissance. Il se tourna vers les photographes et s’en
détourna confronté à l’impermanence de ses portraits. Le miroir agissait tel un
microscope inapte à percevoir le tout. Il commença à semer des écrits comme
autant de preuves de son passage, des balises attestant sa présence, en
signalant des traces. Sa route était parsemée de cahiers, de notes, de pages où
séchaient des mots, sa petite lessive existentielle qui n’approchait que les
alentours. Il s’appuya sur des piles de livres dont les ondulations impulsaient
une marche en apesanteur, les pariétaux lestés de dictionnaires.
Autour de lui les voix qui le traversaient
défiaient le temps. Les pages s’imprimant en tatouages lui dessinaient une
reliure de peau et sa joie pyromane enflammait les affleurements contemporains
qu’il feuilletait des lèvres.
Il rêva d’os et de racines pour les porter
puis vint la terre nourrie d’ancêtres qu’il accueillit.
A
l’automne, après s’être parées des plus belles couleurs, les pierres tombent
dans la plupart des quartiers de la ville.
Certaines
façades se retrouvent très vite à nu, d’autres conservent parements et fenêtres
jusqu’à la Toussaint.
Les
gravats forment de petits monticules au milieu des chaussées que les vents
finissent par entraîner dans les fonds de ruelles, les impasses, les
culs-de-sac où ils sont rongés par le temps avec les os et les vies des
écrasés.
En hiver,
les villes se referment sur leur cœur et s’endorment dans une nuit sans fond.
Nul ne sait ce que deviennent les habitants, comment ils survivent, quel air
ils respirent, quelle eau ils boivent, quelle lumière ils absorbent. Les villes
et leurs hôtes s’absentent, c’est tout.
Des
cheminées percent avec les premières chaleurs, le printemps se colore de
cascades de tuiles, de parures de gouttières. Tous les tuyaux se gorgent d’eau,
les rivières chantent dans les artères, les vêtements, les feuilles, les peaux
s’exhibent avec appétit.
C’est la
saison des grues qui s’abattent en nombre sur les chantiers où la nourriture
est fraîche et abondante, jusqu’à ce que la canicule englue toute cette
agitation dans son ambre suffocante.
Quand les labours viennent retourner les dernières banlieues, pour les sauteurs de murs, il est temps de prendre la clef des champs.
Laissons
advenir les défaites, accueillons les surgeons de la contingence, les monstres,
en nos terres, pour une nouvelle alliance.
Les feuillets
qui suivent sont ordonnés au hasard par des mains mécaniques selon une logique
probabiliste qui nous échappe.
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