NOTES DE LECTURE - Alicia Martinez in Revue Saraswati n°15
A l'enseigne de mes pas, Stéphane Amiot
Editions Encres Vives, 2017
Stéphane
Amiot arpente dans ce recueil la cité toulousaine (lieu de sa
naissance) dont il nous brosse un tableau inattendu et détonant.
Regard
décalé, sans concession, où l'humour le dispute à l'ironie pour
dénoncer la dégradation de la ville. Constat amer d'une
déliquescence générale et d'une criante pauvreté, témoin la
sombre dédicace
aux Morts dans
la rue
à ceux qui
habitent les rues
Langue
décapante, qui déroute et intrigue le lecteur : jeux de mots
inédits, associations insolites, souvent cocasses, toujours
signifiantes. Voici les premiers vers
aux étals du fleuve
le printemsp
décapsule ses fleurs
les amantes au
goût de cannette
Chaque
poème est un instantané qui fixe une scène, de jour, de nuit,
comme pour un reportage. La nuit seule se prête à une évocation
onirique. La ville peut alors respirer et retrouver un peu de sa
magie. Arches et ponts se reflétant dans le canal – parenthèse
d'eau et de songe –
dessinent une cathédrale imaginaire.
Mais le lyrisme fait vite place à l'amertume face au réel du sexe
à emporter.
Retour
à l'ironie qui a tout loisir de prospérer dans les scènes de jour.
Les rues ne sont qu'un tourbillon où défilent dans une animation un
peu folle, factice, une foule égarée, des badauds, des bières,
et toute une jeunesse à la dérive, à l'avenir
décapité.
La
ville apparaît comme un zoo où
s'opèrent de curieuses transformations : le canal est un caniche,
la sono, un pélican.
Les
objets deviennent des animaux et parfois, les humains aussi
croisant gars et filles fougères
les mufles
transpercés d'alcools
ou encore lors d'un concert
les tanches se trémoussent sur le pré
en tendant
l'hameçon au pêcheur
Humour doux-amer qui fait place
à une peinture au vitriol pour ceux qui tiennent le haut du pavé :
hypocrisie des bourgeoises carrossées,
prétention et clinquant des experts,
pas toujours experts
je vis des cormorans faire l'épouvantail
en free-lances
dans les soirées vip
Le scandale c'est un libéralisme
sauvage, une réussite économique qui ne profite qu'à quelques-uns
et qui rend plus profond le fossé qui sépare les nantis des exclus.
Ces derniers sont relégués derrière un rempart,
ou en bas, tout en bas de l'entrelacs des noeuds autoroutiers
c'est là
que niche l'hiver
un peuple
invisible
chassé du sang
des villes
dans le crachat
et la paille
Réalisme cru et poignant à la
mesure de l'indignation.
On
note d'ailleurs au fil du recueil un crescendo dans les audaces
verbales comme dans l'inventaire surréaliste du Rêve
ou cauchemar, overdose de dioxyde de carbone
et plus encore dans le dernier poème dit cynique,
où l'auteur emmène ses enfants le week-end au cirque
des rues : spectacle de
foire des éclopés, mendiants...
suivent des momies des sphinx des nains des bossus
des culs de jatte
des troncs sans bras sans jambes
des borgnes des
aveugles des pelés des croûteux des sanguinolents
Se faire le porte-parole de ceux
qui n'ont pas de voix.
Colère
aussi et incompréhension devant la mauvaise gestion et la croissance
exponentielle de la ville, si mal maîtrisée (architectes
néophytes), qui ne
respecte ni les hommes ni les animaux ni la nature. Plaidoyer sans
ambages pour une écologie – vitale
les antennes des toits de la ville raclent
le limon noir du
ciel
n'en déplaise
aux abeilles
qui butinent le
soleil
Pas de nostalgie rétro dans ce
recueil, mais le rêve d'un lieu où s'accorderaient enfin progrès
et nature, où une juste répartition des richesses redonnerait aux
humains espoir et dignité, ce que l'auteur nomme une modernité
renaissante.
Le
poète est ici, par la puissance de sa voix, lanceur d'alerte :
nécessité d'un réveil, d'une prise de conscience, à Toulouse –
et dans combien d'autres villes... - pour que naisse une action
solidaire car
nous sommes un peuple
une vague un
espoir
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