02/11/2017

A l'enseigne de mes pas - note de lecture d'Alicia Martinez

NOTES DE LECTURE - Alicia Martinez in Revue Saraswati n°15
A l'enseigne de mes pas, Stéphane Amiot

Editions Encres Vives, 2017



Stéphane Amiot, « A l'enseigne de mes pas », Ed. Encres Vives, 16 pages, 6,10 euros

Stéphane Amiot arpente dans ce recueil la cité toulousaine (lieu de sa naissance) dont il nous brosse un tableau inattendu et détonant.
Regard décalé, sans concession, où l'humour le dispute à l'ironie pour dénoncer la dégradation de la ville. Constat amer d'une déliquescence générale et d'une criante pauvreté, témoin la sombre dédicace
aux Morts dans la rue
à ceux qui habitent les rues
Langue décapante, qui déroute et intrigue le lecteur : jeux de mots inédits, associations insolites, souvent cocasses, toujours signifiantes. Voici les premiers vers
aux étals du fleuve
le printemsp décapsule ses fleurs
les amantes au goût de cannette
Chaque poème est un instantané qui fixe une scène, de jour, de nuit, comme pour un reportage. La nuit seule se prête à une évocation onirique. La ville peut alors respirer et retrouver un peu de sa magie. Arches et ponts se reflétant dans le canal – parenthèse d'eau et de songe – dessinent une cathédrale imaginaire. Mais le lyrisme fait vite place à l'amertume face au réel du sexe à emporter.
Retour à l'ironie qui a tout loisir de prospérer dans les scènes de jour. Les rues ne sont qu'un tourbillon où défilent dans une animation un peu folle, factice, une foule égarée, des badauds, des bières, et toute une jeunesse à la dérive, à l'avenir décapité.
La ville apparaît comme un zoo où s'opèrent de curieuses transformations : le canal est un caniche, la sono, un pélican.
Les objets deviennent des animaux et parfois, les humains aussi
croisant gars et filles fougères
les mufles transpercés d'alcools
ou encore lors d'un concert
les tanches se trémoussent sur le pré
en tendant l'hameçon au pêcheur
Humour doux-amer qui fait place à une peinture au vitriol pour ceux qui tiennent le haut du pavé : hypocrisie des bourgeoises carrossées, prétention et clinquant des experts, pas toujours experts
je vis des cormorans faire l'épouvantail
en free-lances dans les soirées vip
Le scandale c'est un libéralisme sauvage, une réussite économique qui ne profite qu'à quelques-uns et qui rend plus profond le fossé qui sépare les nantis des exclus. Ces derniers sont relégués derrière un rempart, ou en bas, tout en bas de l'entrelacs des noeuds autoroutiers
c'est là
que niche l'hiver
un peuple invisible
chassé du sang des villes
dans le crachat et la paille
Réalisme cru et poignant à la mesure de l'indignation.
On note d'ailleurs au fil du recueil un crescendo dans les audaces verbales comme dans l'inventaire surréaliste du Rêve ou cauchemar, overdose de dioxyde de carbone et plus encore dans le dernier poème dit cynique, où l'auteur emmène ses enfants le week-end au cirque des rues : spectacle de foire des éclopés, mendiants...
suivent des momies des sphinx des nains des bossus
des culs de jatte des troncs sans bras sans jambes
des borgnes des aveugles des pelés des croûteux des sanguinolents
Se faire le porte-parole de ceux qui n'ont pas de voix.
Colère aussi et incompréhension devant la mauvaise gestion et la croissance exponentielle de la ville, si mal maîtrisée (architectes néophytes), qui ne respecte ni les hommes ni les animaux ni la nature. Plaidoyer sans ambages pour une écologie – vitale
les antennes des toits de la ville raclent
le limon noir du ciel
n'en déplaise aux abeilles
qui butinent le soleil
Pas de nostalgie rétro dans ce recueil, mais le rêve d'un lieu où s'accorderaient enfin progrès et nature, où une juste répartition des richesses redonnerait aux humains espoir et dignité, ce que l'auteur nomme une modernité renaissante.
Le poète est ici, par la puissance de sa voix, lanceur d'alerte : nécessité d'un réveil, d'une prise de conscience, à Toulouse – et dans combien d'autres villes... - pour que naisse une action solidaire car
nous sommes un peuple
une vague un espoir
Alicia Martinez

La revue Saraswati est publiée par les Editions Alcyone.


Aucun commentaire: