29/03/2016

Blason du réel

Liminaire



Commencer par trouver un titre.
Textes brefs !... Vraiment original.
Pourquoi pas Texticules, ou Margicules comme à l'époque de Totem. Mais ces textes ne sont pas destinés aux marges. Ils ne sont pas destinés.
Que disent les mânes ?
Choses vues. Je n'aime pas trop les choses, père Hugo. Elles manquent d'âme, frisent trop l'anecdote. Les miennes ne sont pas vues, mais ressenties, perçues, rêvées, espérées... Le parti pris des choses. Ponge ne serait-il qu'un copieur ! Le titre fait son petit effet. Mais, pour l'avoir lu, je préfère ne pas me mettre sous l'égide de sa poésie technicienne, si froide. Alors...
Jules Renard. Ses merveilleuses Histoires naturelles. Si poétiques, drôles, fines, surprenantes.
Mes petits tableaux ne sont pas trop naturels. Pas tous. A part le seul que j'ai écrit. Je réfléchirai à Blasons, comme ces petits poèmes consacrés à un détail anatomique, tel Le Beau Tétin de Clément Marot. Blasons du ciel, blasons des arbres, des êtres, des objets, des corps. L'art de blasonner requiert chaleur et amour, doigté, précision et douceur. Il magnifie l'objet qu'il voue à l'art.
J'y réfléchirai sérieusement.
Après ce long préambule à la recherche d'un titre à trouver, introuvé... le premier texte.

L'insert
NB : Un insert est une chambre de combustion métallique comportant une ou plusieurs portes et laissant apparaître le feu à travers des vitres spéciales se substituant au foyer d'une cheminée de chauffage au bois ou intégré dans celui-ci.

Le bonheur, anachronique, de faire un bon feu.
Dans un insert.
La fumée reste emprisonnée dans le petit caisson étanche où le bois avec le spectacle des flammes qui l'assaillent prend des allures d'aquarium tropical si l'on a bien pris soin de nettoyer la vitre.
Derrière la vie du métal, ses grincements, ses dilatations, se perçoivent les craquements du bois.
Un léger fumet a quand même imprégné l'air, suffisamment pour être transporté ailleurs, vers d'autres feux, d'autres campements, des souvenirs de veillées, de flambées illuminant la nuit.
On s'assoit dans le canapé.
Le salon est silencieux. Personne pour raconter une vieille histoire. La télévision est éteinte. Les radiateurs diffusent leur chaleur électrique.
L'énorme bille de bois trône dans le foyer. Le feu a creusé ses entrailles, des coeurs écarlates pulsent dans le noir, des cavernes s'ouvrent sous les parois sombres. Courant comme des cavales sur les flancs d'une colline, les flammèches glissent sur le ventre du monstre, lèchent son dos, volètent sur l'écorce moussue et s'évaporent.
Danseuses orientales aux voiles transparents, herbiers de feu ondoyant sous les vagues de chaleur, petits animaux craintifs flairant leur proie.
Le périscope de la cheminée crache son haleine tiède dans l'immensité glacée de la nuit.
Il faut s'enfoncer dans les profondeurs de la maison, sa tiédeur, son calme, sa paix abyssale.
Les colonnes d'air chaud gonflent la trachée de métal, le feu s'assoupit, se rencogne au coeur de la souche qu'il va grignoter lentement de l'intérieur comme une grosse pomme d'api.
La bête blessée ferme ses yeux un à un, rougeoyants sous une épaisse paupière de cendre.
Dans la cage de verre, le dragon s'est endormi sur son trésor et ne poussera son dernier souffle qu'à l'aube grise.

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